La nécessité de donner un coup de gouvernail (partie 2)

http://www.dreamstime.com/stock-photos-rudder-compass-image7172393L’article du Devoir « Une cible, 1831 messagers » s’interroge sur l’efficacité de la multitude de joueurs en marketing touristique au Québec. D’emblée, les associations touristiques régionales (ATR) sont citées, quoi de plus étonnant? Leur nombre revient sans cesse dans les discussions, et elles disposent d’une source de revenus enviable pour plusieurs : la taxe sur l’hébergement.

Les ATR consacrent une part importante de leur budget et des revenus issus de la taxe sur l’hébergement au marketing. Mais depuis les trente dernières années, celles-ci ont évolué graduellement, selon la taille et les réalités régionales, vers un modèle de gestionnaire de la destination touristique régionale. Selon l’acronyme anglophone : Destination management marketing organisation (DMMO) qui a l’avantage de distinguer deux champs d’opérations, le management de destination et le marketing. Toutefois, je préfère de loin l’acronyme francophone : organisation de la gestion de la destination (OGD).

L’article soulève aussi la question du rapatriement d’une partie des revenus de la taxe sur l’hébergement vers Tourisme Québec. La proposition n’étonne pas, mais je n’adhère pas à cette solution. Toutefois, pour une analyse objective de la situation, tout devrait être mis sur la table. Pour l’instant, l’idée de rapatrier une partie de la taxe est prématurée. Il faut avant tout, faire une réflexion sur le mode de gouvernance idéal pour l’industrie touristique du Québec.

Une lente évolution

À mon arrivée en 1999 à titre de directeur général de l’ATR Gaspésie (1999-2004), déjà à ce moment l’ATR, comme la très grande majorité des ATR, répartissait son énergie entre les cinq activités de la chaîne de production touristique;

  • La structuration : l’organisation de l’industrie régionale;
  • Le développement de l’offre : le produit;
  • Le marketing : Intra et hors Québec dépendant de l’ATR;
  • L’accueil et l’information touristique;
  • La recherche et la connaissance : variant grandement selon la taille et l’expertise de l’ATR.

À titre de directeur général du regroupement des ATR (ATR associées du Québec, 2004 – 2012), j’ai  suivi de près l’évolution du rôle des ATR. La répartition des efforts d’une ATR entre les cinq activités a grandement évolué.

  • Le marketing est toujours omniprésent, et il y a davantage de collaboration avec les autres acteurs de l’industrie
  • La structuration s’est raffermie
  • Le développement de l’offre dispose de plus de moyens (toujours trop limité) et d’outils : Les ententes de partenariat régional en tourisme (EPRT), etc.
  • L’accueil, tout comme le marketing, s’adapte aux nouvelles réalités technologiques d’aujourd’hui, mais a de la difficulté à prendre du galon par rapport aux autres activités par manque de moyens et par l’absence d’une politique nationale de l’accueil.
  • La recherche et la connaissance évoluent au rythme de la disponibilité, de l’accessibilité et de la qualité des analyses produites par les sources officielles : internationale, fédérale, provinciale, Réseau de veille en tourisme, etc.

Incontestablement, la dynamique du développement régional s’est complexifiée pour les ATR. D’ailleurs, tous les acteurs de l’industrie (Tourisme Québec, ATR, ATS, Offices, CLD, DEC, etc.) ont vu leurs rôles et responsabilités prendre de l’ampleur. D’où la nécessité de faire une réflexion sur le modèle de partenariat entre tous ces joueurs.

La gouvernance touristique au Québec, un modèle décentralisé

Nous vivons dans une société dite évoluée qui s’est dotée d’une gouvernance  complexe. L’industrie touristique en est un exemple comme tant d’autres. Il s’agit de tendre vers un modèle de gouvernance transparent, imputable, avec un juste équilibre entre un cadre bien établi et la flexibilité dans les échanges entre les différents intervenants tous paliers confondus, afin d’assurer une cohérence entre ceux-ci pour une efficacité optimale. De plus, tenons compte que  le partenariat entre l’État et les organismes tous secteurs économiques confondus n’est pas toujours une sinécure. De faire travailler ensemble deux entités qui ont des dynamiques aussi distinctes, constituera toujours un défi.

Il ne fait aucun doute que « l’industrie ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le rôle de chacun » comme le mentionne l’article. Mais pour ce qui est de savoir si le modèle de gouvernance en tourisme est trop décentralisé, bien difficile d’y répondre objectivement sans une analyse systémique de la situation. Il existe de nombreuses pistes de réponses.

  • Le rapport Rozon déposé en mai 2011, devrait servir de base à une réflexion sur le modèle de la gouvernance de l’industrie touristique. Je vais y revenir dans un prochain texte.
  • Louis Côté dans « L’étude des modèles nationaux de gouvernance : le cas québécois1 » souligne que « Les pays développés sont tous à revoir ce qu’on appelle aujourd’hui leur mode de gouvernance et d’intervention. Un certain nombre de tendances lourdes peuvent être dégagées des efforts en cours :
    1. Décentralisation, c’est-à-dire transfert de fonctions, de pouvoirs et de responsabilités vers les instances autonomes et distinctes;
    2. Recours aux secteurs privé et associatif par la sous-traitance, la privatisation, mais aussi l’établissement de partenariats;
    3. L’approche participative1 »

En tourisme, il y a indéniablement une volonté de décentralisation de la part du gouvernement et de Tourisme Québec vers les ATR, ATS, CLD, RIO, Palais et Centre de congrès (Montréal et Québec), etc. Le recours au modèle  associatif est aussi important avec les ATR, ATS, ATRAQ, AQIT, etc. Et enfin, l’approche participative est quant à elle embryonnaire si on fait référence à la participation directe des entreprises. Les assises du Tourisme pourraient en être un exemple si la formule évoluait comme suggérée dans le texte : les assises du Tourisme 2013 – pourquoi pas un virage?

  • Un rapport d’information du Sénat en France (février 2013, no 372), sur la délégation aux collectivités territoriales et la décentralisation souligne que « la connaissance des collectivités et leur proximité des acteurs du terrain assurent une réactivité et une plus-value certaines à leurs interventions » d’où l’avantage de la décentralisation. Le rapport tempère cela en rappelant que « le foisonnement d’initiatives n’est toutefois pas sans soulever quelques interrogations, liées à la multiplication du nombre d’acteurs… »
  • Dans le livre blanc municipal de l’Union des municipalités du Québec «  L’avenir a un lieu » (2012)  les quatre principes du projet de Charte des municipalités pourraient servir de pistes de réflexion :
    1. La subsidiarité : Le niveau de décision se situe le plus près possible du lieu où le service est rendu, en fonction de la mission et des compétences des acteurs concernés;
    2. La démocratie : reddition de comptes, consultation et transparence;
    3. La souplesse : Flexibilité et simplification du processus
    4. L’efficience : rôles et responsabilités clairs et bien partagés, cohérence et cohésion.
  • L’ouvrage sur « Les tendances et politiques du tourisme de l’OCDE 2012 », aborde entre autres, « le rôle central joué par la gouvernance, compte tenu du caractère transversal du tourisme ». La définition des rôles et des responsabilités des organismes touristiques, de même que les modèles de gouvernance des états membres y sont amplement expliqués. Pas simple, mais intéressant. 

En conclusion…pour l’instant

Deux  aspects à se rappeler sans cesse et qui peuvent expliquer la complexité de la gouvernance touristique du Québec tout en étant une source d’inspiration pour simplifier celle-ci : La décentralisation et le caractère transversal du tourisme.

J’espère que tout cela nourrira votre réflexion et que vous me ferez part de vos commentaires. Quant à moi, je poursuivrai avec une autre série de textes.

1 Louis Côté,  L’étude des modèles nationaux de gouvernance : le cas québécois, tiré de : Économie et Solidarités, vol. 34, no2, Observatoire de l’Administration publique de l’ÉNAP, Presse de l’Université du Québec, Montréal, 2004.