LE YOYO DE LA GOUVERNANCE TOURISTIQUE AU QUÉBEC

 

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Aussi loin que j’ai pu retourner, soit 1927, au Québec le tourisme a été ballotté d’un ministère à l’autre. Je vous invite à un retour dans le passé pour faire un survol des tentations et des tentatives pour renouveler en tout ou en partie la gouvernance touristique du Québec.

De 1927 à aujourd’hui, le tourisme en a vu de tous les genres et de toutes les couleurs, en étant associé à des ministères de différents secteurs économiques. La voirie  (1927), la publicité (1946), la chasse et la pêche (1963 – 1981), l’industrie et le commerce (1946-61 et 1981-84), la science et la technologie (1994), au loisir et au sport (2001-2003), au développement régional (2003-2005) et enfin depuis 2012 le tourisme est fusionné au ministère des Finances et de l’Économie (MFEQ). Le tourisme a eu son ministère de 1984 à 1994 et de 2005 à 2012 (1).

Ce ballottage démontre clairement l’importance relative, et c’est peu dire, qui était accordée au tourisme par  les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1927, sauf quelques sauts d’enthousiasmes ou d’éveils tardifs ici et là.  Toutefois, force est de reconnaître que depuis 5 à 6 ans les deux gouvernements (PLQ et PQ) qui se sont succédé accordent plus d’importance à notre industrie.

Je situerais ce virement avec le mandat de Mme Nicole Ménard (PLQ),  ministre du Tourisme de 2008 à 2012, concrétisé avec le dépôt du rapport Rozon (mai 2011), la création de la Table stratégique d’échanges, le budget du ministre des Finances, M. Raymond  Bachand (mars 2012), le Plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020 (mai 2012) et par la décision du ministre Pascal Bérubé (PQ) de continuer et même d’augmenter les efforts pour le développement de l’industrie touristique. L’annonce, il y a quelques semaines, de la stratégie économique « Priorité emploi » de son gouvernement qui inclut 225 M$ sur 4 ans pour l’industrie en est une démonstration. Toutefois, l’épée Damoclès d’une élection avant l’été risque de compromettre la réalisation d’une grande partie de cet engagement. 

DES SAUTS DE PUCES DANS LE TEMPS

Que d’ouvrages!

Une panoplie d’ouvrages – politiques, études, stratégies et plans d’action – publiés de 1974 à 2004, dont l’énumération est trop longue à faire, avaient comme objet principal la gouvernance touristique ou du moins des éléments de celle-ci. Un fil conducteur reliait ces ouvrages, soit l’importance de la concertation entre les joueurs de l’industrie et la recherche de pistes de solutions pour rendre la dynamique d’affaires de l’industrie plus efficiente.

Le sujet est toujours d’actualité, le Rapport Rozon (2011)(2),  l’étude sur les Tendances et politiques du tourisme de l’OCDE (2012)(3), de  même que le Plan de développement de l’industrie touristique (2012-2020)(4) en sont la preuve,  en continuant de souligner la complexité de l’industrie et la nécessité de miser sur la synergie entre les partenaires.

 

dreamstime_s_32591664Le labyrinthe

Dans le sillage de la Révolution tranquille, l’État québécois organise son territoire et entraîne des pans entiers de son économie à faire de même, dont l’industrie touristique. L’approche qui est privilégiée par Québec consiste à un équilibre entre la décentralisation et la régionalisation.

Les régions administratives sont créées en trois phases (1967, 1987 et 1997) auxquelles se greffent les CAR, MRC, CLD, CLÉ, CRD-CRCD devenues depuis les CRÉ et j’en passe, qui sont tous créés au cours des cinquante dernières années.

En tourisme, dès 1919-24, des entreprises se regroupaient à Montréal (Tourisme Montréal d’aujourd’hui). Petit à petit, en région le même phénomène se produisait. Les ATR sont reconnues officiellement par le gouvernement en avril 1979 (PQ). Celles-ci se regroupèrent au sein d’une association en 1981, connue aujourd’hui sous le nom d’ATR associées du Québec.

De 1930 à aujourd’hui apparaissent les associations touristiques sectorielles (ATS) : APAQ, FPQ, AHQ, SMQ, FEQ, SATQ, etc. En 2013, celles-ci créèrent aussi leur association ; ATS Québec.

En 1995, la Fédération québécoise des organisations locales de tourisme (FQOLT) est fondée.

Et enfin, en 1998 était conçue la première mouture du Conseil québécois de l’industrie touristique (CQIT), maintenant désigné sous le nom de l’Association québécoise de l’industrie touristique (AQIT).

Et c’est sans compter le palier fédéral et ses organismes : CCT, DEC, SADC, etc.

TENTATIVES ET TENTATIONS POUR UNE NOUVELLE GOUVERNANCE

Au cours des années, il y a eu des tentatives pour modifier le modèle de gouvernance au sein de l’industrie. En voici quelques-unes qui vont sûrement rappeler des souvenirs à certains d’entre vous.

 

800px-Drapeau_du_QuébecCréation de la Société du Tourisme du Québec (STQ)

 Le 17 juin 1994, sous l’initiative du ministre responsable du tourisme, M. Georges Farrah (PLQ), était sanctionnée la loi sur la Société du Tourisme du Québec (STQ)(5).

 Le projet de loi (23) sur la STQ, avec 57 articles, abordait :

  • Ses compétences : La promotion du Québec, le développement du produit, l’aide financière, favoriser la collaboration, concertation, l’harmonisation des acteurs. La société privilégie au palier régional la participation des ATR.
  • Son fonctionnement : La Société est un mandataire du gouvernement, son conseil d’administration est composé d’un PDG avec au plus 10 membres choisis après consultation « d’organismes considérés comme représentatifs » du milieu.
  • Ses dispositions financières : La Société est financée par le gouvernement et si elle fait des surplus elle peut les conserver.
  • Les dispositions transitoires : Tous les employés qui étaient affectés au secteur tourisme dans le ministère devenaient des employés de la Société, sous réserve  des dispositions de la convention collective en vigueur et ce jusqu’à l’expiration de celle-ci. De plus, un employé pouvait s’il ne désirait pas être transféré dans la Société demander sa mutation ou participer à un concours de promotion.

Pourquoi la Société du tourisme du Québec dont la loi constitutive a été votée par l’Assemblée nationale n’a jamais vu le jour? Ce n’est pas parce qu’une loi est sanctionnée que celle-ci entre automatiquement en vigueur. Il y a une plusieurs  raisons qui pourraient l’expliquer, dont le changement de gouvernement suite à une élection. C’est ce qui s’est produit avec le retour au pouvoir du PQ, le 12 septembre 1994. Le nouveau gouvernement a choisi de ne pas mettre en vigueur la loi sur la STQ.

Le modèle de gouvernance de la STQ était-il optimum à cette époque? Peut-être que oui peut-être que non. Mais une chose demeure, il est la démonstration que c’est possible de revoir en tout ou en partie un modèle de gouvernance.

L’Entente de la Bonne Entente

La formule d’une agence ou d’une société d’État refait surface près de 10 années après la tentative de la STQ. En conclusion, du 1er congrès biennal d’ATR associées du Québec (2003), les partenaires de l’industrie touristique, tous horizons confondus, convenaient de la Déclaration de la Bonne Entente (6).

La déclaration avait cinq énoncés, dont :

  • La volonté que « les partenaires doivent parler haut et fort et d’une seule voix… »
  • « La nécessité de confirmer, améliorer et bonifier les mécanismes de concertation et d’arrimage des rôles et compétences à tous les paliers (fédéral, provincial, régional, local et sectoriel) ».
  • « La nécessité d’une agence (ou société d’État) qui assure la responsabilité de la promotion dans un contexte de partenariat public privé».

Il y avait une volonté clairement affichée d’améliorer l’arrimage des rôles et la collaboration entre les acteurs touristiques à tous les niveaux. L’outil de gouvernance identifié pour y arriver, était une agence marketing ou une société d’État, inspirée du modèle de la Commission canadienne du tourisme (CCT), créée le 2 janvier 2001.

Le Forum de l’industrie touristique

En 2004, sous l’égide de la ministre déléguée au Tourisme, Mme Nathalie Normandeau (PLQ), est créé le Forum de l’industrie touristique, regroupant une quarantaine d’acteurs touristiques. Ce n’est pas le premier et ce ne sera pas le dernier. Lors d’une réunion du Forum, le 22 janvier 2004, il est réitéré que les partenaires de l’industrie touristique désirent une agence autonome   qui serait responsable du marketing de la destination, afin d’assurer la participation et l’imputabilité de l’industrie dans la prise de décision et de mettre à l’abri les stratégies marketing des changements de gouvernement.

La réponse du gouvernement : un nouveau ministère, celui du Tourisme

À la demande de l’industrie touristique pour la création d’une agence ou d’une société d’État, le gouvernement de l’époque répond par : 

  • La constitution d’un ministère du Tourisme avec Mme Françoise Gauthier comme ministre en titre.
  • La mise en œuvre de la politique touristique du Québec 2005-2010. Vers un tourisme durable(7). La politique se composait de 7 facteurs de succès et de 26 mesures, dont :
    o   La création du conseil des partenaires de l’industrie touristique;
    o   La tenue des Assises touristiques;
  • o   La mise en place des quatre expériences touristiques dont l’objectif était de favoriser les alliances entre les ATR (destination) et ATS (produit). Il s’avéra que théoriquement l’approche avait certains avantages (mix produit/région), mais que l’exécution de celle-ci fut problématique.

 

boussolleET ÇA CONTINUE!

En 2010 – 2011, le Comité performance de l’industrie touristique (CPIT) présidé par M. Gilbert Rozon est créé. L’objectif  du CPIT consiste à faire des propositions pour améliorer la performance économique du tourisme au Québec. Le rapport « Rozon » fut déposé lors des assises de mai 2011. La condition de réussite pour la réalisation des priorités du rapport « Que les acteurs de l’industrie travaillent ensemble » 

Le prochain texte de mon blogue va d’ailleurs  porter sur les travaux d’un sous-comité  du CPIT, auquel j’ai contribué, celui de la gouvernance au sein de l’industrie touristique. Le texte portera sur la réflexion du sous-comité sur un modèle de gouvernance.

En 2012, suite au rapport Rozon, la ministre Nicole Ménard a créé la Table stratégique d’échanges  qui a conduit au « Plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020 (PDIT). Un itinéraire vers la croissance. Celui-ci est déposé  aux assises de mai 2012.

Parmi les 6 priorités du Plan, une est réservée à la gouvernance : « favoriser une plus grande cohérence des actions gouvernementales et la convergence des actions des intervenants privés et publics dans un esprit renouvelé de partenariat ».

Le plan inclut 36 mesures. En matière de gouvernance, elles consistent à :

  • Rendre permanente la Table stratégique d’échanges;
  • Poursuivre les travaux du comité interministériel;
  • Instaurer un mécanisme de suivi et de réalisation du Plan, pour ce faire plusieurs comités ont été créés : nature et aventure, le Saint-Laurent, tourisme hivernal, etc.
  • Permettre aux ATR de participer aux conférences administratives régionales (CAR).

À cela s’ajoutent quelques grands principes comme :

  • La reconnaissance de l’industrie comme un « élément incontournable de la vision économique du gouvernement »;
  • La nécessité d’avoir une « vision claire et élaborée avec l’ensemble des intervenants;
  • Que les ministères et sociétés d’État devront être mobilisés;
  • Que le gouvernement va renforcir le partenariat entre tous les joueurs.

Et enfin, le plan reconnaît de nouveau l’importance du rôle des ATR et des ATS.

Certes, il y a des améliorations, mais les enjeux de la gouvernance doivent être abordés dans leurs globalités, ce que le plan évite de faire en se limitant à quelques actions et grands principes.

UN REGARD VERS L’AVENIR

Je sais ce texte est trop long,  mais retourner dans le temps, ça demande du temps. J’ai tenté de vous donner un aperçu de l’évolution (tentatives et tentations) de la gouvernance touristique au Québec. Ce qu’il en ressort, ce sont les rendez-vous manqués entre les besoins de l’industrie et la volonté des gouvernements successifs en matière de gouvernance. 

Est-ce que le passé sera garant de l’avenir? Personnellement, c’est l’avenir qui m’intéresse.

 

 (1)Assemblée nationale. Assemblée nationale. Site de l’Assemblée nationale, (En ligne).http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/index.html (consulté le 8 novembre 2013)
(2) CPIT. (Mai 2011).Faire des choix pour une industrie touristique performante. 57 p.
(3) OCDE (2013), Tendances et politiques du tourisme de l’OCDE 2012, Éditions OCDE. http://dx.doi.org/10.1787/tour-2012-fr
(4) Plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020 Un itinéraire vers la croissance. (2012). Québec : ministère du Tourisme, 110 p.
(5) Assemblée nationale. (1994) Loi sur la société du tourisme du Québec. (5-16.02). 14 p.
(6) ATR associées du Québec. (2003) Déclaration de la Bonne Entente. 1er Congrès biennal d’ATR associées du Québec.
(7) Tourisme Québec. Produit par Maurice Couture. (2004) Vers une nouvelle Politique touristique du Québec. Portrait, tendances et pratiques en matière de gouvernance en tourisme : Les enjeux et défis pour un modèle adapté au Québec. 68 p.