Le 22 juin dernier, Isabelle Porter signait un article dans Le Devoir, « Une cible, 1831 messagers ». Un titre accrocheur, mais qui escamote une réalité touristique beaucoup plus nuancée. L’article fait état du grand nombre d’organismes impliqués en tourisme au Québec. Le chiffre représente en fait un amalgame des acteurs qui travaillent au cœur de l’industrie avec ceux qui gravitent autour, sans distinction entre ceux-ci.
Je réagis à l’article à titre de membre du comité Rozon à l’époque où le rapport Rozon a été rendu public en mai 2011: « Faire des choix pour une industrie touristique performante ». Ma contribution au sein du comité portait entre autres, sur une réflexion pour l’amélioration du modèle de gouvernance de l’industrie touristique.
Le rapport Rozon avait identifié une condition de réussite pour la réalisation des recommandations de celui-ci, «Unifier l’industrie, ses partenaires associatifs, le gouvernement et ses mandataires autour de la vision et des priorités et les faire travailler en équipe, dans le cadre d’un nouveau management de la destination ». Tout est là ! Toutefois, cette condition de réussite est trop souvent mise de côté.
La gouvernance au sein de la majorité des industries est souvent l’enfant pauvre des priorités managériales. On s’accommode de la bête, on réussit malgré tout à atteindre un niveau d’efficacité satisfaisant, car souvent le réseau des leaders est petit et assez intime pour régler au cas par cas les problèmes qui peuvent être rencontrés. Il y a des percés ici et là pour améliorer les choses, donnant une impression du devoir accompli alors que la bête résiste aux changements.
Parfois, le modèle de gouvernance doit être revu en profondeur, jusqu’au cœur de la bête. Souvent, il s’agit de faire un constat objectif et transparent de la situation, et de rebâtir à partir des forces du système actuel. La question que soulève l’article et qui pourrait être posé à la majorité des secteurs économiques du Québec, construction, santé, éducation, agriculture et j’en passe, sommes-nous efficient et à quel prix?
Le titre de l’article met en évidence l’envergure du défi à relever. Comment y arriver avec 1 831 organisations?
1 831
Alors qu’il y a plus de 29 000 entreprises touristiques au Québec, le chiffre de 1 831 organismes est impressionnant. Mais faute de temps et de moyens, le comité Rozon était dans l’impossibilité d’établir avec précision le nombre de joueurs qui ont une implication significative au sein de l’industrie. Tourisme Québec mentionne 1 636 intervenants dans une présentation faite lors des Assises du Tourisme le 14 mai dernier dans l’atelier 1 « Le coffre à outils en matière d’accompagnement des entreprises ».
Il est évident que les 22 associations touristiques régionales du Québec (ATR) consacrent 100% de leurs énergies à l’industrie touristique, comme c’est le cas pour d’autres acteurs touristiques, ATS, offices de tourisme, etc. Mais qu’en est-il, par exemple, des 1134 municipalités incluses dans le chiffre faisant l’objet du titre? La décision de leurs investissements repose-t-elle sur des enjeux politiques ou sur une réflexion stratégique? Combien d’entre elles investissent réellement en tourisme? À quel pourcentage de leur budget? À partir de combien est-ce significatif? Comment séparer les actions ponctuelles de celles qui sont planifiées? Où commence et finit ce qui est touristique dans le budget de ces acteurs, où tourisme, récréotourisme, culture, etc., sont souvent confondus dans les colonnes de chiffres des états financiers?
Sans l’ombre d’un doute à ce stade-ci les chiffres avancés ne sont que des hypothèses.
Poser ces questions et ne pas avoir les réponses démontre la complexité du modèle de gouvernance en tourisme et qu’il est plus que temps de faire une réflexion collective sur celui-ci. Malgré les améliorations des dernières années, la conclusion du rapport Rozon, sur la gouvernance est toujours d’actualité, « Il y a clairement une insatisfaction fondée vis-à-vis du mode de management actuel de notre industrie touristique.».
Un système de partenariat complexe ou le qui fait quoi?
La complexité d’un système ne repose pas uniquement sur le nombre d’acteurs, mais aussi sur le type de relation entre ceux-ci. Dans une réflexion sur le modèle de gouvernance en tourisme, le questionnement sur le nombre d’intervenants est essentiel, car il y a de nombreux risques liés à la multiplication des acteurs, mais il ne doit pas occulter un autre enjeu majeur de la réflexion, soit le type de relation entre ceux-ci.
Nous le vivons tous dans notre quotidien, dès que deux personnes et plus s’engagent ensemble pour la réalisation de projets ou l’atteinte d’objectifs, que ce soit au travail, dans les sports d’équipe ou dans une vie de couple, la qualité de la relation est essentielle.
Dans l’industrie touristique, certains acteurs ont une définition relativement précise de leurs rôles et responsabilités, tandis que pour d’autres c’est tout le contraire quand ce n’est carrément pas inexistant. Ce manque de clarté a un impact direct sur l’efficacité des relations entre les joueurs ayant comme résultat une faiblesse dans la cohérence des actions au sein de l’industrie. Ajoutons à cela l’insuffisance de la coordination interministérielle et enfin les lacunes dans l’articulation des actions entre les instances fédérales et provinciales. Au « qui fait quoi? » il faut ajouter le pourquoi et le comment avec toujours en filigrane le combien.
Une reprise des travaux
Au sein du comité Rozon, la réflexion sur un nouveau modèle de management dans l’industrie touristique s’est faite à deux niveaux. Le partage des rôles et responsabilités entre les principaux acteurs de l’industrie, de même que sur une nouvelle structure de gouvernance du bas vers le haut.
Les travaux du comité Rozon sur la gouvernance devraient être relancés, mais sous l’égide d’un nouveau groupe de travail dédié uniquement à la gouvernance touristique. Une réflexion sur la structure de l’industrie touristique doit demeurer,
- une démarche transparente,
- ouverte à toutes les options,
- à la recherche d’un consensus,
- reposant sur les principes d’une saine gouvernance,
- considérant les réalités et particularités des régions et de l’industrie touristique du Québec,
- et en prenant compte des problèmes d’asymétrie des pouvoirs et des moyens entre les petits et gros joueurs.
Le tout avec une vision partagée, car les modifications d’un système si complexe ne peuvent pas se faire à la légère, les impacts négatifs pourraient avoir une incidence à long terme sur l’industrie.
Pour continuer à relever les défis que pose la concurrence très vive des autres destinations, dans une industrie qui est en constante évolution partout dans le monde, dotons-nous d’une gouvernance efficiente comme outil de développement collectif au bénéfice de l’ensemble des régions du Québec.
Il y a des moments ou les mots prennent un sens nouveau et deviennent l’expressions d’enjeux latents. Il me semble que nous parlerons de plus en plus de gouvernance touristique dans les prochaines années. J’en possède pas l’ensemble de tenants, mais l’aboutissant me semble assez nécessaire.
Dans ton papier, Louis, tu parles d’un mouvement allant du haut vers le bas. En principe et aussi en pratique j’ai un grand malaise avec cette approche qui s’apparente au développement économique traditionnel; un développement qui part du haut et qui va vers le bas, comme la main bienfaîtrice de l’état qui décide pour le petit monde…
L’industrie du tourisme a cela de particulier qu’elle touche à toutes les dimensions de la vie humaine et conséquemment, elle doit être en relation ou en conversation avec toutes ces dimensions. Il ne s’agit pas d’un monologue. C’est une industrie qui se nourrit de toutes les formes de patrimoine et qui y contribue.
Certes il importe de partager une comphéhension et ultimement une vision commune et, pour ce faire, je ne crois pas que l’état puisse confier ce mandatau monde associatif. L’état doit aussi assumer pleinement son rôle de concertation.
Comment se fait-il qu’un ministère, qu’il soit délégué ou non, qu’il soit attaché à un autre ministère ou non, n’a jamais cru en la nécessité de se développer un réseau de directions régionales. Comment se fait-il qu’un ministère à ce point important pour les régions est à ce point centralisé?
Je sais que cela n’est pas un panacée, mais il me semble que dans la question de la gouvernance touristique du Québec, l’implantation d’un réseau de directions régionales permettrait de faire évoluer notre industrie de façon plus harmonieuse. Est-ce le fruit de ma seule pensée ou d’autres, sprécialement des régionalistes, partagent le même point de vue?
Étienne,
Tu m’as mis toute une frousse quand tu mentionnes que j’aurais écrit une gouvernance du haut vers le bas. C’est tout le contraire sur lequel j’ai travaillé au sein du comité Rozon : « Au sein du comité Rozon, la réflexion sur un nouveau modèle de management dans l’industrie touristique s’est faite à deux niveaux. Le partage des rôles et responsabilités entre les principaux acteurs de l’industrie, de même que sur une nouvelle structure de gouvernance du bas vers le haut » donc, je crois que nous nous rejoignons sur ce point.
Je suis aussi d’accord avec toi sur le rôle de concertation de l’État, dans la mesure où il y a une véritable écoute de celui-ci, toutefois faire attention aux considérations politiques qui influencent constamment le gouvernement, quel qu’il soit. Le gouvernement est élu par la population, Tourisme Québec est en quelque sorte une extension de celui-ci dans un champ d’activité bien précis, en l’occurrence le tourisme. Donc, il est évident que c’est le gouvernement qui est redevable devant tous et qu’il serait irresponsable et même antidémocratique (sûrement impossible légalement) s’il déléguait toutes ses responsabilités aux acteurs associatifs ou privés.
Je crois que le gouvernement peut assumer son rôle de concertation même s’il décentralise des responsabilités et des fonctions. L’un n’empêche pas l’autre, comme c’est le cas actuellement au Québec et dans de nombreux pays, même s’il y a place à amélioration.
La volonté du gouvernement actuel, de même que des autres partis en lice pour le pouvoir au Québec est de tendre vers la décentralisation (voir plateformes électorales et programmes). Je suis d’accord avec toi, le tourisme est un cas, mais plutôt parce qu’il est un des ministères les plus décentralisés du Québec. La régionalisation implique comme tu le dis l’ouverture de bureaux régionaux en région. Choisir entre décentralisation ou régionalisation il y a de la place pour discussion. Les deux ont leurs avantages et inconvénients. Franchement, je suis plus attiré par une décentralisation de responsabilités, fonctions et moyens vers les régions. La régionalisation relève plus du pouvoir central que la décentralisation. Un bureau régional d’un ministère est une extension de celui-ci malgré toute la latitude qu’il peut avoir.
Toutefois, il y a une limite à la décentralisation, trop c’est comme pas assez. Une décentralisation qui ne repose pas sur une vision commune, des objectifs partagés par tous, des rôles et responsabilités clairs pour tous et un leadership de compétence doit fait l’objet d’une réflexion pour améliorer celui-ci. Régionalisation ou décentralisation devraient faire partie d’une discussion transparente sur le modèle de gouvernance touristique.
Bonjour Louis,
C’est un beau sujet pour éveiller les passions ! Certains vont conclure d’avance le débat sur la base des prémisses ou hypothèses que l’efficacité repose toujours sur une centralisation et la concentration des pouvoirs de décisions. À mon avis, si on veut que la démarche porte fruit, le débat de la gouvernance doit être soutenu d’une analyse des compétences requises et des synergies souhaitées. On fait cela à l’aide d’un diagnostic organisationnel de l’industrie qui définit clairement quels sont les domaines d’activités stratégiques en tourisme en fonction des facteurs de succès. Concrètement cela implique de découper les différents secteurs d’activités stratégique en domaine d’activités, selon les clientèles, selon les compétences, etc. L’exemple des municipalités est pertinent. Quelles sont celles qui sont vraiment des acteurs stratégiques en tourisme ? Au niveau local, régional, Québécois, international ?Et dans quel champ de compétence, le développement des infrastructures, le soutien et l’investissement dans l’offre d’activités, d’événements, le financement de la promotion ? Finalement, du delà des structures, il faut surtout se demander quels sont les acteurs qui sont essentiels et comment les coordonner, les animer pour l’atteinte des objectifs du plan de développement de l’industrie ?
Bon été !
Luc,
Merci de ton commentaire, il est très pertinent au niveau de la démarche. je viens de mettre en ligne la partie 2 de mon texte. J’y aborde entre autres, la notion de décentralisation.
Tout à fait délicieux cette amorce! Enfin parlons-en! Ce thème brûle les lèvres de plusieurs acteurs situé au bas de ligne de gouvernance (les prestataires) mais personne est à l’écoute là haut!
Depuis un certain temps, je navigue à travers les notions de Géotourisme et je me questionne à savoir si cette approche, implantée dans notre industrie, ne serait pas la plus simple et la plus facile à mettre en œuvre afin de changer notre gouvernance?
On se bute à des régions touristiques alors qu’au fait il y a des grands ensembles géographiques naturellement liés (culture, nature, économie, réseau….). Je pense entre autre au Fjord-du-Saguenay qui est bordé par 3 régions touristiques qui font chacun du développement sur le territoire et du marketing international. Je trouve que c’est une perte d’énergie.
Bonne saison!
Merci pour le commentaire,
Très bonne réflexion et suggestion l’approchent par grands ensembles géographiques. Tourisme Québec a fait une excellente analyse afin d’identifier les pôles ou si vous préférez « les destinations touristiques du Québec ». Je vous suggère, si vous n’avez pas eu l’occasion, de lire le plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020, » Un itinéraire vers la croissance »* vous y retrouverez plusieurs informations pertinentes. Par exemple, la notion des portes d’entrée, les pôles, la stratégie du Saint-Laurent, etc.
Vous savez sûrement que le Québec maritime fait la promotion hors Québec pour 5 régions touristiques (BSL, Gaspésie, Iles MAD. Manic et Duplessis). Il y a aussi d’autres efforts de promotions entre des ATR et des sectorielles. Toutefois, dans un contexte d’augmentation de la concurrence internationale (marchés émergents…), de l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la recherche d’efficacité, il est indéniable qu’il faut modifier nos façons de faire.
* Pour le plan, aller sur Bonjourquebec.com, choisir Tourisme Québec en bas à gauche de l’écran et aller dans publications, ensuite dans politiques et orientations et choisissez le Plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020.
Bonne saison!